samedi 5 avril 2014

La marche sur Métarhe

Aujourd'hui dans cette région du sud du Cotran-Iks que l'on appelle Klarkavas, j'ai décidé de faire de l'archéologie. Il y a de tout qui sommeille dans cette terre sèche, de toutes époques et de toutes civilisations, et la rumeur m'avait rapporté des faits fabuleux. Les ruines de Métarhe, l'antique cité détruite voici plus de 1300 ans, venaient d'être localisées non loin de la frontière du Prafon.

Déjà les amateurs parasites se pressaient autour des sommités barbues en partance pour l'intérieur des terres. Le départ étant annoncé pour dans quelques secondes, je disposais d'une petite heure pour convaincre Azine de m'accompagner sur le chantier de fouilles - en attendant le prochain train de sommités barbues et d'amateurs parasites.

Je l'ai trouvé comme toujours très affairé. Nous nous préparions à une très longue traversée vers l'orient, et les subalternes s'activaient en silence à remplir les cales. Et lui, il les surveillait, mains croisées dans le dos, d'un regard fixe et sérieux. J'ai discrètement commencé ma requête en y introduisant quelques éléments attrayants pour mieux le convaincre.

Veux-tu aller voir avec moi des choses incroyables? Ça nous éloigne de la mer, mais il m'est avis que ça en vaut la peine.

Il déplace son regard de quelques degrés, assez je pense pour m'apercevoir du coin de l'oeil. La première barrière est tombée.

Laisse Dukaro s'occuper des préparatifs. On le voit trop rarement à son poste.

Il répond, sereinement pour l'heure, que Dukaro est au poste où on attend qu'il soit, et que lui-même est au sien.

Tu ne peux pas voir l'Obus? Ils ont déterré l'Obus... C'est la plus grande découverte de notre temps!

Je crois être parvenu à éveiller une partie de sa curiosité, car il a levé le sourcil en signe d'ignorance. Un court récit suffira à l'amadouer.

L'Obus du roi Zant! Allons, n'en as-tu donc jamais entendu parler?
C'était vers l'an 410, dans l'ancien État de Plarie. Il y avait un propriétaire nommé Zant qui, un jour qu'il bêchait l'une de ses parcelles, buta sur un objet dur. En dégageant la terre autour, il révéla une surface métallique ogivée, d'aspect sombre et dépoli, de petits nodules spiralés disposés dessus.
En creusant plus profondément autour, il finit par mettre à jour un obus, gigantesque, de treize mètres de haut. Il venait de retrouver une rescapée des terribles armes employées il y a cinq siècles de cela par les Doks et les Crabouliques, et qui signèrent la déchéance des deux grands.

-Posez ça là, Klaus.

La panique s'empara des riverains. Le soir même, beaucoup d'entre eux étaient partis, de peur que l'engin fonctionne encore. Certains pour annoncer la nouvelle, d'autres pour se mettre à l'abri; encore que ce modèle, le plus performant qui fut conçu, eût pu rayer de la carte le continent dans sa totalité. Quelques jours plus tard, et contre toute attente, une foule compacte de mystiques et d'inquiets s'était rassemblée autour de la sinistre machine. Zant, parmi eux, demandait conseil. Aucun ne semblait pouvoir l'aider: car les savoirs quant à comment désamorcer l'engin de mort s'étaient depuis longtemps perdus, ou n'avaient même jamais existé.
Alors Zant prit la décision d'affronter la bête. Il se munit d'un fort poinçon et commença à entamer les tôles, écrasé sous une masse de regards anxieux. Après plusieurs heures de travail, il poussa vers l'intérieur un volet de métal laborieusement détaché, salua ses proches et se glissa dans l'interstice.

-Au fond à droite, à côté des caisses de café.

En fin de soirée, on vit à la lueur des torches une forme s'extirper de l'ouverture précédemment forée. C'était Zant. La foule l'acclama immédiatement, et il fut porté en triomphe jusqu'au village.
Qu'avait-il fait à l'intérieur? Sur l'instant seule comptait sa brillante victoire sur l'engin. Bien plus tard, on se prit à mettre en doute l'exploit, à prétendre que les charges étaient rouillées et infonctionnelles, et que Zant n'avait rien eu à faire sinon laisser la plèbe se convaincre de son héroïsme. Pour l'heure il était considéré en héraut, et allait devenir roi et dieu dans le même temps.
La reine de Plarie d'alors était vielle, lasse et sans descendance, et le métayer salvateur lui apparut comme un remplaçant respectable et populaire.

C'est ainsi que vint l'apothéose du roi Zant. Incarnation de la Paix et Divinité sur terre, adoré en Plarie et lourdement respecté ailleurs, il fit construire autour de l'Obus qui allait devenir son autel la grande cité de Métarhe, gloire des hommes. Puis il fit ouvrir au sommet de la carcasse du monstre vaincu une petite fenêtre, et fixa à l'apex un mât de bronze qui lui servait à tenir debout lors des harangues.


Tout le continent était alors sous la domination ténue des Pseudo-Doks, et les onze États d'alors ne se reconnaissaient guère qu'entre eux. La Plarie était celui qui allait obtenir le plus de reconnaissance à l'étranger.

-Combien de temps? Une vingtaine de jours si le courant est favorable.

Le roi Zant organisa son culte avec une dizaine de grands diacres. Lors des cérémonies, lui et deux diacres apparaissaient à la lucarne. Chacun d'eux saisissait alors un pan de son écharpe de soie bifide distinctive de manière à révéler le bas de son visage. Puis, il sortait en s'agrippant au mât et laissait échapper une courte harangue. Avant et après son sermon, les prêtres déclaraient longuement et minutieusement pensées, décrets et ordre du jour.


Le roi Zant en tenue de cérémonie; un diacre, indiquant la taille minimale requise pour être ordonné.

Le règne se poursuivit durant une quarantaine d'années, durant lesquelles Métarhe resplendit bien au-delà des côtes de l'Affimane. Zant se voyait comme le premier d'une lignée millénaire, et avait déjà désigné l'un de ses diacres pour lui succéder. La famille? Refoulée, et on la soupçonna par la suite d'être à l'origine d'une triste conclusion.

En l'an 454, certains des onze royaumes commencèrent à s'agiter en dépit des prodigieux conseils du roi Zant. Les tensions portaient sur la fusion dominative imposée par les Pseudo-Doks, qui lésait la plupart des monarques quand un petit nombre d'entre eux apparaissait avantagé. Les cinquante ans de terreur qui s'en suivirent commencèrent lorsque se forma l'axe dit 'des Neuf' (Aburg, Barnok, Hartraque, Stéphanie, Friville, Vird, Soyères, Iscolomide, Balamkadar), la réunion des cités sécessionnistes de l'est et du nord. En face le puissant Cotran-Iks, étant lui-même depuis toujours une fusion de nations et ne s'en portant pas plus mal, fut de ceux qui s'opposèrent. Et la Plarie demeurait précisément entre les deux, le roi Zant paraissant incapable de prendre position.

Les deux camps s'armèrent, et se rencontrèrent à Métarhe qui se trouvait à mi-distance. En arrivant en vue de ses arches monumentales, les deux généraux entrèrent dans la ville sans résistance, et vinrent trouver Zant pour lui demander une bonne fois de décider quelle était la bonne voie. On leur répondit par un pesant silence.
Après quelques minutes d'hésitation propres à semer un doute de mauvais aloi, le roi-dieu se décida à quitter ses appartements avec deux diacres, manifestement apeuré, et rejoignit l'Obus pour monter en chaire. Les deux armées l'entouraient, se faisant face silencieusement. Au moment où il entrait dans l'autel et tandis qu'il montait jusqu'à la lucarne, les deux camps ouvrirent les hostilités par un torrent d'injures.

Les récits divergent quant à la suite, mais arrivent à la même conclusion: il monta au mât, cachant tant bien que mal sa peur avec plus de prestance, et tenta d'en appeler au bon sens des deux parties - pas de regards sur le contentieux, seule compte la paix.
Mais ce n'était qu'une échappatoire, et il apparut bien vite que le problème n'était que remis. Ce sur quoi il eut des silences gênés, que comblèrent les masses des soldats impatients. Les insultes revenaient par vagues, et le roi impuissant était ballotté de gauche à droite en subissant l'échange.

Finalement, la bataille s'engagea, et les premières salves se croisèrent assez haut, vers treize mètres au-dessus du sol. Zant s'écroula, transpercé de toutes parts, et s'écrasa au sol alors que les deux troupes se chargeaient; non sans un petit regard de pitié ou de regrets sur ses robes tachées de sang, je suppose. Mais ils avaient autre chose à faire, une seconde de recueillement et ceux d'en face leur tranchaient la tête.

Oui, ils l'ont retrouvée, cette colonne de bronze depuis laquelle le Grand Roi conduisit ses quarante ans de règne, et la grande cité détruite par un conflit que personne ne voulait là. Peut-être même encore les temples où il méditait, et le pavé où il connut son ultime chute. Ils fouillent, ils ne sont plus très loin, ils vont retracer le plan des rues et découvrir mille trésors entre les murs blanc d'albâtre. Alors, tu viens?

-Non.








Probablement vôtre,  
Xavier Plorc

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On n'hésite pas. Xavier est faible mais je le seconde.